Mariem Besbes

Tous les mois, Dauphine Culture met en lumière le parcours, le projet, ou la structure d’un ancien de notre réseau. En Novembre, venez rencontrer Mariem Besbes, FC 2020 de Dauphine à Tunis, commissaire d’exposition et plasticienne. Elle a façonné son activité au gré des projets qui se présentaient à elle avec le choix d’être sur une ligne de crête. En tant qu’entrepreneure culturel, plasticienne et commissaire d’exposition ce qui la motive, c’est de questionner les contingences individuelles et collectives à travers leurs points de bascule dans des réalités instables et en mouvement.

Pourquoi avoir choisi le master MOC ?

Pour articuler mon expérience personnelle avec un savoir- faire opérationnel axé sur la mise en place de projets transversaux.Grâce à des mises en perspectives aux croisements de la sociologie, de l’histoire de l’art et de l’entreprenariat entre autres, des pans entiers de la culture apparaissent tout en nuance, portés par leurs potentiels géographiques, sociaux – économiques , politiques et même philosophiques.

Quel a été l’impact de cette formation ?

Cette formation a été un véritable bol d’oxygène, le volet politiques culturelles m’a passionnée. Il m’a permis de contextualiser les projets sur lesquels je travaillais au moment même où je réalisais mon Master, en particulier la direction artistique des 100 ans du Bauhaus en partenariat avec le Goethe Institut de Tunis : programmation de 30 artistes, installations hors les murs, planification d’une conférence à l’Ecole Nationale d’Urbanisme et d’Architecture de Tunis, projections, performances, et mappings ainsi que la programmation d’un concert basé sur la composition instantanée en référence aux méthodes d’expérimentation réalisées au Bauhaus. On a volontairement implanté l’évènement dans un quartier historique de Tunis arpenté des dizaines de fois par Paul Klee et Vladimir Kandisky quelques années avant qu’ils ne deviennent deux des enseignants les plus marquants au Bauhaus. On a choisit un bâtiment patrimonial public ouvert sur la rue et ancré dans l’un des plus anciens quartiers de la ville pour accueillir l’exposition.

Le premier objectif était d’offrir une promiscuité et la facilité d’accès piéton à un public dense et très diversifié – écoles et collèges de proximité , enseignants, étudiants , habitants du quartier , commerçants , passants – pour être dans une logique de médiation et de transmission imminente et surtout pour être fidèle à la philosophie de l’école du Bauhaus beaucoup plus qu’à son aspect formel, devenu aujourd’hui un label galvaudé, aux antipodes de l’état d’esprit des premières années de ce mouvement de pensée , basé avant tout sur l’expérimentation à la portée de tous avec un minimum de moyens et sans distinction d’âge. Un bel exemple de démocratie culturelle malheureusement éradiqué juste 10 ans après sa création par la montée du nazisme, dans un pays alors clivé par des dysfonctionnements économiques et sociaux criants.

C’est le public qui a façonné l’exposition qui a évolué en 21 jours, un duo d’artistes suisso- marocain s’est même invité le soir du vernissage et a mis en place son installation vidéo spontanément pour 3 semaines sans prévenir, dans un des dédales du bâtiment. Il a fallu gérer les “mauvaises” surprises de dernière minute mais au final c’était très réussi et leur démarche incursive et spontanée entrait en totale résonance avec le thème de l’exposition.

Pouvez-vous nous parler du poste que vous avez occupé ?

J’étais commissaire de l’exposition Utopia, les 100 ans du Bauhaus ; le Master que je suivais au même moment a été ma boussole et ma boite à outils pour la mise en place du projet dans son ensemble (gestion des budgets, des espaces, des ressources humaines, des institutions, des collectivités locales, de la presse, des groupes scolaires, des artistes et des habitants du quartier) ce qui a nécessité une vision à 360° pendant plus de 5 mois .

Je travaille actuellement avec un collectif au montage d’une résidence culturelle urbaine qui questionne la ville en tenant compte des aléas du quotidien. Réhabiliter la culture d’usage et de proximité en s’imprégnant des frictions urbaines pour inventer de nouvelles manières de re-tisser la ville sera le moteur du projet.

Quels sont les plus et les moins de votre métier ?

Les +

– Se renouveler en permanence grâce aux rencontres aussi diverses qu’improbables dans un métier où on se forge au gré des projets et où l’inattendu est toujours au coin de la rue.

– Remettre vingt fois sur le métier ses certitudes grâce au côté laboratoire qui reste un des premiers stimulants.– Participer à des projets de société qui retissent patrimoine immatériel, transmission et identités flottantes (entre territoires réels et imaginaires), afin d’envisager de nouvelles solutions globales.

Les moins :

– Devoir réajuster sa trajectoire en permanence pour penser en termes d’objectifs réalisables et de contraintes budgétaires.

– Lorsqu’on travaille sur des projets collectifs, savoir faire des concessions pour pouvoir se retrouver sur des territoires communs. Cela sous-entend de laisser tomber des projets ou des idées plus originales ou plus personnelles.

Quelles sont les particularités de votre secteur d’activité ?

Le secteur de la culture est en pleine expansion en Tunisie essentiellement du point de vue des porteurs de projets, des créateurs et donc de l’offre. En revanche les questions de réception, de médiation et de l’impact produit par les œuvres sur le grand public , ainsi que la question du ciblage ne sont pas assez développés.

Le chantier de la démocratie culturelle est à l’état de balbutiement, c’est pourtant par elle que l’on se construit une liberté de conscience, un esprit critique et un socle commun autour duquel on peut  broder  et sublimer ensuite des histoires plus personnelles à travers l’acte de création et sa mise en contexte territoriale, sociale, économique ou politique dans la durée. C’est avant tout une question d’ordre structurel inhérente à la mise en place de dispositifs juridiques adéquats et d’une politique culturelle en réelle immersion dans les régions, les quartiers pour que la transformation de la société ait réellement lieu.

La culture est une priorité, elle est la clef de voûte de nos sociétés méditerranéennes séculaires, on a tout à y gagner en essayant de lui redonner sa fonction de questionnement sur un temps long et de “réparation- transformation ” dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Pouvez-vous donner 3 compétences qu’il faut pour exercer votre métier ?

  • Réceptivité
  • Capacité d’analyse
  • Créativité

Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans le secteur de la Culture ?

La liberté en tant que puissance d’agir et de penser ne peut se conquérir qu’en réinventant la subjectivité assujettie (qu’on veut bien nous assigner, à commencer par soi-même), à travers des mobilisations à la fois individuelles et collectives qui englobent aussi bien les mouvements sociaux que culturels.

Quand on vient d’un pays méditerranéen, ce choix prend presque la forme d’une nécessité. La culture est partout, mais elle est partout malmenée et invisibilisée.

C’est un secteur qui manque de passeurs bienveillants et de leviers suffisants qui permettent aux jeunes générations de se projeter dans une réalité économique dont l’enjeu principal est la création de valeur et d’emplois innovants dans un monde de plus en plus hybride et décentré .